RECHERCHE


Sommaires

Editoriaux

Articles

Auteurs

Evènements

Publications


 

La « question juive » du retour à Paul
La politique de l’Empire

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Shmuel Trigano

Professeur des Universités, auteur de L’E(x)clu, entre Juifs et chrétiens (Denoël, 2003).

Premières pages

Le retour à Paul de certains philosophes contemporains constitue un phénomène idéologique dont la pleine signification nous échappe encore du fait de manque de recul. Tout en confessant leur athéisme, ils trouvent dans sa doctrine une politique adéquate à l’ère de la mondialisation, qui plus est dans la ligne de leur adhésion antérieure au marxisme. En Paul, Alain Badiou recherche une « nouvelle figure militante, appelée à succéder à celle que mirent en place au début du siècle Lénine et les Bolchéviks et qu’on peut dire avoir été celle du militant du parti ». Ils font de Paul « un Lénine dont le Christ aurait été le Marx équivoque ». En somme, en Paul, Badiou trouve la trame d’un renouvellement du marxisme.

Je ne discuterai pas ici cet alliage paradoxal en son fond mais à travers l’un des aspects fondamentaux de la pensée paulinienne qu’adoptent sans sourciller les adeptes du retour à Paul (et qui n’est sans doute pas sans raviver quelques vestiges du marxisme) : la question juive. On découvre en effet avec stupéfaction que la lecture qu’ils font de Paul transpose dans le contemporain des schémas intellectuels (en l’occurrence mythologiques) dont l’histoire a démontré la potentialité éminemment nocive et que les chrétiens tentent de conjurer aujourd’hui dans leur enseignement officiel. Les Juifs d’aujourd’hui (et notamment Israël) sont, certes, les premiers concernés mais la figure qui est à nouveau dessinée d’eux a de bien plus larges implications par sa portée idéologique, au regard de l’un des principaux intérêts de la redécouverte de Paul : l’universel, tel que le post modernisme le pense, post-national. « Le geste inouï de Paul est de soustraire la vérité à l’emprise communautaire, qu’il s’agisse d’un peuple, d’une cité, d’un empire, d’un territoire ou d’une classe sociale ». « Que veut Paul ? Sans doute extirper la Nouvelle (l’Évangile) de la stricte clôture où la laisserait qu’elle ne vaille que pour la communauté juive ». Se référant de toute évidence à la mémoire de la Shoa, Badiou fait l’apologie d’un « universel (qui) ne tolère qu’on l’assigne à une particularité ni n’entretient de rapport direct avec le statut – dominant ou victimaire – des lieux d’où émerge la proposition ». « Juif entre les Juifs et fiers de l’être, Paul ne veut que rappeler qu’il est absurde de se croire propriétaire de Dieu et qu’un événement où il est question de triomphe de la vie sur la mort, quelques soient les formes communautaires (…) active le “pour tous” ». « Ce qu’il revient en propre à Paul d’avoir établi, est qu’il n’y a de fidélité à un tel événement que dans la résiliation des particularismes communautaires ». « L’événement rend obsolète le marquage antérieur et la nouvelle universalité ne soutient aucun rapport privilégié avec la communauté juive ». « Il n’est pas exagéré de dire que ces énoncés « minoritaires » sont proprement barbares ». Paul souhaitait « être délivré des incrédules de la Judée (Rm 15,31) ». C’est la moindre des choses pour qui n’identifie sa foi que par le retour sur lui même d’une déposition des différences communautaires et coutumières ». Ce que Badiou exalte dans Paul, c’est « la singularité universalisable » « qui fait nécessairement rupture avec la singularité identitaire ». « Il s’agit de faire valoir une singularité universelle, à la fois contre les abstractions établies (juridiques alors, économiques aujourd’hui) et contre les revendications communautaires et particularistes ».Cette singularité universelle tant recherchée est donc à l’opposé de la figure juive (tout en ayant un besoin vital d’elle pour se poser).

Badiou réitère ici en fait la logique paulinienne du « ni Juif ni Grec » qui passe pour la formule de l’universel. Et cela donne l’occasion d’entendre à nouveau la litanie des antinomies pauliniennes sur le Juif comme lettre : « la lettre tue… La lettre mortifie le sujet en tant qu’elle sépare sa pensée de sa toute puissance ». Il est question du « réel persécutoire de la logique identitaire », de la loi réservée à une communauté, du « terrible commandement de la lettre » 16, du « marquage communautaire », autant de catégories classificatoires pour les Juifs qui se trouvent de surcroît dangereusement transposées dans le domaine économique (marché mondial oblige !) : « rien de plus offert à l’invention de nouvelles figures de l’homogénéisation monétaire qu’une communauté et son ou ses territoires. Il faut ce semblant d’une non-équivalence pour que l’équivalence soit elle même un processus… logique capitaliste de l’équivalent général et logique identitaire et culturelle des communautés ou des minorités formant un ensemble articulé ». En somme le particularisme juif est la poutre maîtresse du capitalisme mondial. Marx n’est pas mort. (...)


CONTROVERSES © 2006 - 2009