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Le rapport du comité pour la mémoire de l’esclavage

Paru dans le numéro 2, juin 2006

Elya Trigano

Premières pages

Le comité pour la mémoire de l’esclavage (CPME) a été institué par le décret de janvier 2004, relatif au Comité institué par la loi du 30 juin 1983 concernant la commémoration de l’abolition de l’esclavage modifiée par la loi adoptée le 21 mai 2001, qualifiant la traite négrière de crime contre l’humanité. Sa mission consistait à proposer au Premier Ministre la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage, en France métropolitaine, après avoir procédé à la consultation la plus large. Il propose aux ministres chargés de l’intérieur, de la culture et de l’outre-mer l’identification des lieux de célébration et de mémoire sur l’ensemble du territoire national et des actions de sensibilisation du public.

Il a également pour mission de proposer aux ministres chargés de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, des mesures d’adaptation des programmes d’enseignement scolaire, des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires, et de suggérer des programmes de recherche en histoire et dans les autres sciences humaines, dans le domaine de la traite ou de l’esclavage.

On y compte des personnalités choisies en considération de leurs travaux de recherche dans le domaine de la traite ou de l’esclavage, de leur activité associative pour la défense de la mémoire des esclaves, de leur connaissance de l’outre-mer français. Le président et les autres membres du comité sont nommés, pour une durée de cinq ans, par décret du Premier Ministre.

Le rapport du comité présente des propositions et recommandations de nature à faire en sorte que la mémoire partagée de l’esclavage devienne partie intégrante de la mémoire nationale. Le comité constate la « forte attente, au-delà de tous les clivages, pour un acte symbolique fort et pour des actions concrètes de la part des plus hautes autorités de la République française qui s’inscrivent dans l’esprit de la loi du 21 mai 2001. »

Cette attente révèlerait qu’une grande majorité des Français issus du monde de l’esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 21 mai 2001, l’histoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions continue d’être largement ignorée, négligée, marginalisée. Ils perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République. En tant que citoyens, ils demandent que soit reconnu un passé qui a modelé non seulement leurs sociétés, mais aussi la France dans son ensemble.

Cet état de fait nécessite selon eux un geste symbolique de l’État français et la prise en compte à part entière de cette histoire dans les programmes scolaires, afin d’en faire un événement majeur de l’histoire de France. Des actes forts qui manifestent la volonté de la République française d’aborder cette page honteuse de son histoire seraient espérés de ce groupe mémoriel dont on doit relever la grande hétérogénéité. Pour le Comité auteur engagé du rapport, ces gestes devraient contribuer à une plus grande intégration citoyenne.

En tenant compte de ces attentes, le CPME formule différentes propositions.

Une commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine, pour symboliser à sa juste mesure la décision de l’État de reconnaître l’esclavage comme un crime contre l’humanité, car la notion de « crime contre l’humanité », adoptée le 21 mai 2001 à l’unanimité par les élus du peuple français, a constitué un tournant radical. « Cette notion, qui apparaît dans la Charte de Londres du 8 août 1945, a été adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mon¬diale pour définir en termes philosophiques, politiques et juridiques le fait de détruire un groupe ou un peuple par une action organisée et volontaire. La notion de crime contre l’humanité implique qu’il existe une loi supérieure aux lois des États, une loi supranationale. Tout argument économique ou poli¬tique, ainsi que le principe de souveraineté lui-même doivent s’effacer devant l’argument moral, qui transcende l’idée de l’intérêt particulier (du groupe, de la nation, de l’État). Il est désormais entendu que c’est l’humanité en tant que telle qui est attaquée quand une personne est attaquée à cause de son appartenance ethnique, culturelle, religieuse. Il est crime contre l’humanité tout entière et en cela transcende toutes les catégories pénales. C’est ce qui fait l’humain qui est la cible du crime. La traite négrière et l’esclavage entrent dans cette catégorie, car ce sont des entreprises de déshumanisation, de déni de ce qui fait l’humain. » Reconnaître la qualité de crime contre l’humanité à l’esclavage a ainsi répondu à l’attente des citoyens issus du monde esclavagiste passé, qui ont vu cet événement central de leur histoire reconnu sur le plan symbolique. Le CPME propose au gouvernement de la République française la date du 10 mai comme jour de commémoration annuelle en France métropolitaine de l’abolition de l’esclavage. Il propose que ce jour soit dénommé « Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Le Comité a préconisé la mise en œuvre de cette commémoration dès le 10 mai 2005. Le 30 janvier 2006, le Chef de l’État a entériné cette date du 10 mai comme journée des « Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions ».

Enseignement et recherche

Le comité constate la place mineure de la traite et de l’esclavage dans l’enseignement. Or, la République française a voté une loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme « crime contre l’humanité ». Elle a donc reconnu et inscrit dans la loi la nécessité d’une réparation histo¬rique. Pour les rédacteurs du rapport, cette réparation historique devrait se traduire dans les écoles, où les futurs citoyens sont en droit de savoir pourquoi et comment la France fut une puissance coloniale et esclavagiste et comment l’abolition de l’esclavage fut accomplie. Pour certains écoliers, collé¬giens, lycéens, dont les ancêtres furent « déportés et asservis », l’intégration de cette histoire à l’école marquerait l’intégration de leur histoire dans le récit national. Suivant son analyse des programmes et des manuels scolaires et à la suite des rencontres avec l’Éducation nationale, le CPME avance des propositions pouvant être réalisées dans un futur proche :
Insertion de tous les aspects de l’esclavage et de la traite négrière à une place significative dans les manuels scolaires à destination de la métropole

Intégration des sujets liés à la traite négrière, à l’esclavage et à ses processus d’abolition dans les programmes de recru¬tement (CAPES et agrégation d’histoire-géographie, de lettres modernes ou de philosophie)

Création d’un événement culturel au sein des établissements scolaires, suscitant des productions écrites ou orales, sur toutes formes de supports

Création de documents d’accompagnement (recensement des sources et pro¬positions de séquences pédagogiques) à l’usage des professeurs des écoles et des professeurs du secondaire

Création d’une semaine d’actions de sensibilisation dans les établissements scolaires autour de la date de commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage. (...)

 


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