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                      «Ah 
                        ! Il aurait fallu que les hommes puissent faire des enfants 
                        par un autre moyen, sans qu’il existât une 
                        race féminine : ainsi les hommes ne connaîtraient 
                        plus le malheur ! » Tel est le cri de Jason dans 
                        Médée d’Euripide (Vème siècle 
                        av. J.-C.).
                      La misogynie traditionnelle 
                        et la théorie freudienne de la sexualité 
                        Depuis le livre La Sexualité féminine, Recherches 
                        psychanalytiques nouvelles (1964), paru avant la grande 
                        vague féministe, je me suis attachée à 
                        l’hypothèse selon laquelle la condition féminine 
                        a été marquée, à travers les 
                        âges, par des sentiments d’envie envers la 
                        maternité et par le besoin d’inverser la 
                        situation de dépendance dans laquelle le nourrisson 
                        inerme se trouve par rapport à sa géni¬trice, 
                        inversion qui est si éloquemment figurée 
                        dans le mythe de la naissance d’Ève, tirée 
                        de la côte d’Adam.
                      On sait que l’enfant 
                        humain naît prématuré. Freud évoque 
                        de façon saisissante dans Inhibition, Symptôme, 
                        Angoisse (1926) les conséquences de ce « 
                        facteur biologique » qui provoque une « longue 
                        période durant laquelle le petit de l’espèce 
                        humaine se trouve dans une condition d’impuissance 
                        et de dépendance. Son existence intra-utérine 
                        est plus courte que celle de la plupart des animaux, et 
                        il est jeté en ce monde dans un état moins 
                        achevé. » Les effets de cette longue période 
                        de dépendance de l’être humain vis-à-vis 
                        de sa génitrice constitue un point capital pour 
                        la compréhension de la condition féminine.
                      C’est Mélanie 
                        Klein qui, en élaborant son concept d’envie, 
                        donne toute sa place aux désirs, dans les deux 
                        sexes, de s’emparer, voire de détruire quand 
                        l’avidité et la haine sont prévalents, 
                        l’aptitude de la mère à mettre au 
                        monde des enfants. « La capacité de donner 
                        et de préserver la vie est ressentie comme le don 
                        le plus précieux et la créativité 
                        devient ainsi la cause la plus profonde de l’envie. 
                        » (1957) En fait, la créativité de 
                        la mère et la dépendance à son endroit 
                        sont en étroite relation. La créativité 
                        s’exprime (réellement et symboliquement) 
                        à travers le sein. « Le sein nourricier représente 
                        pour le nourrisson quelque chose qui possède tout 
                        ce qu’il désire. Il est source inépuisable 
                        de lait et d’amour qu’il se réserve 
                        pourtant pour sa propre satisfaction. » C’est 
                        la non-disponibilité permanente et absolue du sein 
                        et de tout ce qu’il symbolise, le désir et 
                        l’impossibilité d’être le sein, 
                        donc la dépendance à laquelle le bébé 
                        est soumis, qui accroissent l’envie, l’avidité 
                        et la haine destructrices.
                      Il semble que l’on 
                        puisse tenir de nombreux aspects de la théorie 
                        freudienne de la sexualité humaine comme déni 
                        du rôle de la dépendance primaire à 
                        la mère qui façonne pourtant, de manière 
                        décisive, la relation des hommes et des femmes 
                        à la mère, des sexes entre eux, ainsi que 
                        leur translation dans l’espace social.
                      Le monisme sexuel phallique
                        Le monisme sexuel phallique est une pièce maîtresse 
                        de la théorie freudienne de la sexualité. 
                        La fille ignore consciemment et inconsciemment qu’elle 
                        possède un vagin. Parallèlement, le garçon 
                        ignore l’existence, chez la fille, d’un organe 
                        destiné à être pénétré. 
                        La complémentarité entre les sexes est, 
                        du même coup, pareillement ignorée et il 
                        n’y a pas d’attirance « naturelle » 
                        entre les sexes. La petite fille se croit châtrée, 
                        pourvue d’un seul organe sexuel, le clitoris, équivalent 
                        d’un pénis tronqué. Le garçon, 
                        à la vue du sexe féminin dépourvu 
                        de pénis, s’horrifie. Ignorant l’existence 
                        des organes féminins internes, il interprète 
                        ce qu’il voit comme l’effet de la castration 
                        et imagine alors qu’un sort semblable pourrait lui 
                        échoir.
                        Freud niera toujours l’existence d’excitations 
                        vaginales précoces malgré la clinique et 
                        l’insistance de différents auteurs, en particulier 
                        Karl Abraham. En 1938, dans L’Abrégé 
                        de psychanalyse, Freud réitère sa conviction, 
                        que rien décidément ne saurait ébranler.
                      Se pose alors la question 
                        : Pourquoi cette obstination et pourquoi le succès 
                        prolongé de cette conception, qui a trouvé 
                        en France une terre d’accueil particulièrement 
                        favorable ? L’explication la plus probante à 
                        cela semble se situer du côté des affects 
                        que la relation à la femme, à la mère 
                        suscite dans les deux sexes.
                      La femme marquée 
                        par le manque
                      J’ai eu l’occasion 
                        (1976-1988) de rassembler tous les éléments 
                        qui placent, dans la théorie freudienne, la femme 
                        sous le signe du manque : manque de vagin, manque de pénis, 
                        manque de libido spécifique, manque d’objet 
                        érotique adéquat (la mère et non 
                        le père, tandis que la mère, elle, préfère 
                        son fils), nécessité de « manquer 
                        » de clitoris. À cela, comme on le sait, 
                        il convient d’ajouter un manque relatif de surmoi, 
                        de capacités de sublimation, d’où 
                        une contribution insignifiante à la culture et 
                        à la civilisation. (…)