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Violences urbaines
Le cercle vicieux de la falsification des préférences

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Léon Sann

Docteur en médecine, pédiatre, praticien hospitalier, néonatologue, résident du Conseil d’éthique de l’Hopital Debrousse, auteur, d’articles dans le domaine de l’éthique médicale.

Premières pages

Le mois de novembre 2005 a été marqué par des manifestations aiguës et disséminées de violence urbaine qui sont apparues principalement dans les banlieues, mais aussi dans certains cas plus limités il est vrai, dans le centre de certaines villes. Cette éruption sociale a frappé les citoyens français et les observateurs étrangers par leur caractère épidémique, par leur disproportion avec les incidents initiaux, ainsi que par leur durée. De plus, le retentissement médiatique de ces évènements a oscillé entre les reportages alarmistes en raison du caractère spectaculaire de ces manifestations, d’une part, et l’installation lente d’une occultation progressive, d’autre part. Les chiffres concernant le nombre de voitures brûlées n’étaient plus rapportés, tandis que les incendies de voiture n’étaient plus mentionnés.

Devant de telles manifestations d’altération civile, il importe, au-delà de la crudité des faits, d’essayer de les expliquer (par les causes et les motivations), de les comprendre (en leur donnant un sens) et de les interpréter (en les intégrant à un savoir plus large, notamment en vue d’une action adaptée).

Les faits seront rappelés donc rapidement dans la continuité avec les violences urbaines antérieures. Les facteurs d’explication, de compréhension et d’interprétation tournent le plus souvent autour d’enjeux économiques (le chômage), sociologiques (urbanisation, immigration et structures familiales), psychologiques (avec la démission de l’autorité parentale et scolaire) ou politiques (les jeunes des banlieues constituant, pour certains, le nouveau prolétariat). Le rôle de la perte d’autorité parentale et sociale sur la déstabilisation des jeunes nous paraît un facteur primordial. Le chômage, l’urbanisation, les facteurs politiques ne semblent pas vraiment déterminants pour la plupart des observateurs de la violence sociale, d’autant qu’ils pourraient aussi être la conséquence de ces violences. C’est pourquoi nous envisagerons l’herméneutique de ces évènements dans le cadre d’une approche différente : celle qui s’intéresse à la falsification des préférences, c’est-à-dire au hiatus qui existe entre les préférences sociales et les préférences personnelles. Cette théorie a été proposée par un professeur musulman et d’origine turque qui enseigne à la fois l’économie politique ainsi que la pensée et la culture islamique à l’Université de Californie du Sud. Le but de cet article est donc de confronter ces évènements avec l’approche de la falsification des préférences afin de déceler la part de ces évènements qui relève de l’inefficacité de l’action sociale face à ce problème et à travers elle de la responsabilité d’un travestissement des interprétations et des préférences des citoyens. Le rôle de ce facteur devrait permettre non seulement de rendre compte, pour une large part, de ces phénomènes socio-politiques et d’envisager à leur sujet une approche plus positive en termes de propositions.

La montée en puissance de la violence depuis 1990

La violence sociale correspond pour la police nationale à des actes ainsi recensés : racket, coups et blessures, rixes, règlements de compte, vols avec violence, razzias sur les commerces, incendies de biens publics et privés, dont les véhicules, rodéos de voitures volées, violences criminelles du fait des bandes, violences collectives anti-policières ou à visée institutionnelle, représailles pour instituer la loi du silence, etc… Dès le début de l’année 1990, on relève ainsi des violences anti-institutionnelles, qui se criminaliseront par la suite. Elles prendront au premier semestre 2004 un caractère parfois insurrectionnel (2, p. 19), avec agressions contre les forces de l’ordre, que ce soit sous la forme d’attaques directes de commissariats de police, ou de guet-apens tendus aux patrouilles de police ou de gendarmerie. (...)



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