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Le retrait unilatéral de Gaza
Les marges de la démocratie israélienne

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Richard Darmon

Journaliste à l’hebdomadaire Maintenant, puis au Monde-Dimanche, à Libération, à Valeurs actuelles et à Tribune Juive, Richard Darmon est le co-fondateur en 1990 de l’Edition hebdomadaire internationale en français du Jerusalem Post dont il a été le rédacteur en chef jusqu’en 1996. Depuis, il est le correspondant en Israël de plusieurs titres de la presse juive européenne.

 

Premières pages

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat public et la gestion politique du démantèlement des 21 localités juives de Gaza et de 4 autres du nord de la Samarie de l’été 2005, menés par les différentes institutions et échelons de la démocratie israélienne, ont témoigné de défaillances malgré l’apparente réussite « diplomatique » de ce véritable tournant dans le conflit israélo-palestinien. Lequel a été ressenti comme un véritable « viol » par une partie de la population israélienne : à la fois dans sa phase de préparation et dans son exécution, mais aussi dans la période d’après le retrait, marquée par une totale négligence – voire une scandaleuse indifférence – pour le sort de ces familles expulsées de chez elles au nom d’une « raison d’État », souvent aux relents de règlement de compte intérieur… Au plan formel, il ne fait pas de doute que la décision d’appliquer le plan de retrait a été « démocratiquement » prise par une nette majorité de ministres du gouvernement Sharon, puis par une majorité de députés de la Knesset de telle sorte que contester le démantèlement revenait, aux yeux de nombre de politiciens et des médias officiels, à vouloir « remettre en cause de manière séditieuse une décision démocratiquement arrêtée ». Il faut revenir justement – avec toutes les précautions d’usage – sur le mode de décision concernant cette mesure sans précédent dans l’histoire des États démocratiques : l’évacuation forcée et unilatérale, par les forces armées d’un État, de ses propres ressortissants nationaux habitant des territoires frontaliers « disputés » par un pays ou une puissance ennemie voisine, mais sans nul accord de paix bilatéral ni compromis passés avec cette puissance pour mettre fin à l’état de belligérance…

L’absence d’explication du retournement politique
Mis à part son « discours d’Herzliya », prononcé en décembre 2003 au dîner de clôture d’une conférence géostratégique, dans lequel il a lancé et défini – en termes d’ailleurs très généraux – son plan de « retrait unilatéral » justifié par « l’absence de partenaires palestiniens de paix », en affirmant, sans démonstration, que « la scène internationale a horreur du vide », A. Sharon n’a pour ainsi dire jamais expliqué à ses concitoyens les raisons profondes qui l’ont amené à décider de l’évacuation de ces vingt cinq localités juives, alors qu’il était déjà admis que Tsahal avait bel et bien défait sur le terrain les terroristes de la deuxième Intifada, remportant ainsi la première victoire du genre dans un « conflit asymétrique à basse intensité », opposant un État constitué à des groupes armés à l’idéologie destructrice et prêts à tout pour arriver à leurs fins. S’il est une constante dans la période préalable au retrait, c’est bien ce lourd silence de Sharon sur ses objectifs : ainsi, n’a-t-il rien dit de substantiel lors de ses diverses interventions devant la Knesset, ni dans ses rapports successifs – souvent exclusivement techniques – auprès des membres du cabinet, et encore moins lors des rares interviews qu’il a bien voulu accorder à la presse israélienne et internationale depuis deux ans.
Ce « mutisme » a été pointé de manière flagrante dans une interview fleuve donnée par Sharon à deux journalistes anglophones du quotidien The Jerusalem Post publiée le 22 avril 2005. A la question insistante posée par ses interlocuteurs censés offrir ainsi une nouvelle chance au Premier ministre pour s’expliquer sur son plan (« Les leaders des résidents juifs de Judée-Samarie-Gaza (Yésha) main tiennent que vous ne leur avez jamais expliqué de manière satisfaisante les avantages nationaux que tirera Israël du démantèlement. Ils ne sont pas persuadés de l’existence de tels avantages… Peut-être avez-vous quelque chose d’autre à dire pour les convaincre et les rassurer ? »), Sharon répond en termes polémiques et en éludant toute précision : « Il faut faire la part des choses. D’abord, j’ai déjà expliqué ces avantages de nombreuses fois. Quant au fait qu’ils ne sont pas ‘convaincus’, je vais vous dire pourquoi : c’est tout simplement parce qu’ils ne veulent pas quitter Gaza… ».
Il fallut attendre de 15 août au soir – vingt quatre heures avant le début des expulsions par la force au Goush-Katif – pour l’entendre s’adresser lapidairement aux Israéliens sur un ton dramatique, dans une très courte allocution télévisée, en disant ceci : « Ce n’est pas un secret que, comme de nombreux autres de nos concitoyens, j’ai moi-même cru et espéré que nous pourrions rester à Netzarim et à Kfar-Darom pour toujours. Toutefois, les réalités ont changé dans ce pays, dans cette région et dans le monde entier – ce qui nous impose une réévaluation et un changement de nos positions. (…) Le plan de désengagement, que j’ai annoncé voilà presque deux ans, constitue la réponse d’Israël à ces réalités. Ce plan est bon pour Israël dans tous les scénarios envisageables…».

La marche « à la hussarde » face aux obstacles politiques et publics

Il y eût pire encore que cette absence de sens de type tautologique. Après s’être débarrassé l’un après l’autre – tout simplement en les limogeant – de ses ministres de droite récalcitrants (y compris ceux de son propre parti, le Likoud) qui lui rappelaient ses promesses électorales explicites, le chef du gouvernement a continué sa marche « à la hussarde » pour imposer coûte que coûte le plan de retrait en violant délibérément les règles les plus élémentaires de démocratie interne propre à sa formation : alors qu’il avait lui-même consenti à la tenue d’un référendum interne au Likoud pour arrêter la politique de son parti, il n’a tout simplement pas tenu compte de son résultat négatif ! Il est vrai que l’avis majoritaire exprimé par les adhérents du Likoud était fort gênant pour lui, puisque plus de 60 % avaient repoussé ce programme de démantèlement lors d’un scrutin démocratique interne, organisé dans tout le pays en mai 2004… Une « leçon » qui fut interprétée à sa manière par Sharon, lequel devait ensuite systématiquement refuser – malgré les appels pressants lancés au sein du Likoud et dans toute la droite – d’organiser un « référendum national » qui aurait pu sonder l’opinion réelle de tous les électeurs du pays sur le plan de retrait, en donnant justement une légitimité sans faille à leur décision souveraine, quelle qu’elle fût ! (...)

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