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CONTROVERSES

Editorial de Controverses n° 4, Février 2007

Alter-ego par Shmuel Trigano

L’époque est à la mode « alter ». Le concept d'« altermondialisme » lui a donné ses lettres de noblesse. Et l'on peut faire le pari que d'autres alteridentités se déclareront dans les années à venir. L'Autre est devenu la valeur suprême.

C'est sur ce mode-là qu'une nouvelle identité s'est manifestée et constituée, dans la foulée du « nouvel antisémitisme », vers la fin de l'année 2000.Judith Butler, spécialiste de l'analyse des discours, en donne une illustration éclatante quand elle se propose « d'élargir la brèche entre l'Etat d'Israël et le peuple juif, au service d'une conception alternative ». L'« alter » bourgeonne dans son discours « une autre politique juive »,une « conception alternative », « un avenir Juif différent ». Michel Warshawsky fonde, quant à lui, l'Alternative Information Center en Israël...

Le terme d'« Alterjuifs » (2), que ce numéro exceptionnel de Controverses forge et consacre, colle ainsi au plus près de l'intention qui a animé tout un courant d'opinion de dimension internationale.

Son importante production idéologique aide à pénétrer les arcanes de la logique « alter ». Le terme qui désignait auparavant l'altermondialisme joue comme un révélateur. On a en effet d'abord parlé d'anti-mondialisme. Les« alter » ont commencé par être « anti ». « Alter » est plus porteur en une époque où il faut « positiver » et où tout ce qui est « alternatif» est valorisé.« Alter » cache-t-il « anti » ? Dans l'identité « alter », il y a du « anti » avec en plus la jouissance constructive du « pro », de façon quasi dialectique. L'altermondialisme n'est plus « contre » la mondialisation mais pour une « autre »mondialisation, c'est à dire qu'il entend non seulement bénéficier des acquis de la mondialisation mais aussi la fustiger.

Les alterdémocrates de l'extrême gauche, revenus du marxisme, adoptent pareille attitude : devenus les plus parfaits champions des droits de l'homme,ils éreintent pourtant d'une critique dévastatrice la démocratie libérale. L'« alter »est une assurance tous risques puisqu'on n'a plus à se déterminer contre une chose mais pour une autre de ses modalités.

L'« alter » prend ainsi à revers une réalité donnée, qu'il assume pour mieux la contourner, en raflant la mise de fond à son avantage (pour en déposséder l'identité détournée). Si on cherchait une comparaison, on la trouverait dans la pratique du surf : on chevauche la vague en utilisant son énergie pour procurer une énergie motrice à la planche du surfer. Le modèle du surf sert d'ailleurs à définir une tactique publicitaire bien connue du même type. La mode « alter »témoigne en réalité de l'épuisement des concepts et du consensualisme mou quia envahi cette époque. L'audace ne va pas plus loin que le détournement de ce qui existe déjà.

L'alteridentité est ainsi subrepticement accusatrice et toujours vertueusement énoncée « au nom de l’Autre ». Mais au bout de l'« alter », ou derrière lui, on le voit, trône en majesté l'ego. « L'Autre » est devenu l'affirmation de la volonté de puissance du même et l'identique. Alter-ego...

Shmuel Trigano

Notes
1 Cf.Antisémitisme : L'intolérable chantage. Israël-Palestine, une affaire française, ouvrage collectif d’Etienne Balibar, Rony Brauman, Judith Butler, Sylvain Cypel, Eric Hazan, Daniel Lindenberg, MarcSaint-Upéry, Denis Sieffert, Michel Warschawski, La Découverte, Paris, 2003.
2 Un terme forgé par Muriel Darmon (cf. infra).

 
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